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Autopsie d'une ombre
30 juin 2016

Autopsie d'une ombre : chapitre 1

 

Il fait encore assez chaud, en ce début de soirée de juillet 2015. J'entrouvre la bais vitrée pour laisser l'air rafraichir le salon et je m'installe sur le fauteuil à bascule. La chaleur n'est encore pas celle du mois d'août, mais au deuxième étage où l'appartement se situe, il fait déjà chaud. Alors, je vais chercher une bière. Pourquoi vouloir toujours reprendre en sens inverse le fondement de mon malheur ? Peut-être pour n’en reconnaître que les bénéfices transmis ? Je crois que c'est surtout pour cesser de me lamenter ! Les feuilles blanches du prochain chapitre ne demandent qu'à s'écrire puisque celles-ci s'ouvrent sur le futur. Il est vain de m'entêter à transformer, invariablement, les précédentes pour essayer de réécrire plus adroitement le passé : c'est trop illusoire ! Néanmoins, pour la première fois, je me sens réellement triste ! Et ça n'a plus rien à voir avec ce passé-là, mais le fait de ne pas arriver à trouver les mots justes pour transcrire une telle manifestation de souffrance m'exaspère au plus haut point. J'ai comme une énorme envie de pleurer ! Peut-être est-ce parce que l'on ne pense vraiment qu'à soi quand on pleure ? Peut-être est-ce pour laisser agir le pouvoir thérapeutique des larmes intervenant sur la personne qui les déverse ? Pour la première fois de mes deux vies réunies, je me sens vraiment vulnérable.Si je ne fais rien, je ne vais pas tarder à tomber dans l'interstice de la plus béante des failles et je vais finir par en toucher le fond. Je viens enfin de comprendre que cette brisure, décelée quinze ans plus tôt par la psychologue du centre universitaire de Saint-Hilaire-du-Touvet en Isère, se trouve toujours là. Comme pour rappeler à ce nouveau « moi » qu'une immense partie de son ancienne personnalité hante toujours le sang de ses veines, la mémoire de son corps et l'esprit de sa chair. Je m'en veux terriblement de n'avoir pas su le déceler plus tôt ! Mais surtout, je m'en veux d'être retombé dans un tel piège. L'année et demie qui vient de se dérouler a été la plus merveilleuse de toutes ! Mais, encore une fois, j'ai pour seul regret de n'avoir su en profiter qu'à 50 %, car aujourd'hui, elle est révolue ! Et avec elle, la plus fabuleuse rencontre que j'ai faite depuis ces quinze dernières années, plonge également dans le passé. Quinze ans, comme la période qui m'a permis de réso

udre le casse-tête traumatique résultant d'un tournant mal négocié. Quinze ans, comme un cycle qui ne m'a pas vraiment laissé le choix : le combat à mener était tellement évident. Mais quinze ans également, comme l'intervalle de temps grâce auquel j'ai pris conscience et admis qu'un second tourment, plus enfoui et tout aussi complexe, se cachait encore dans les entrailles de ma chair. Comme si la mésaventure, datant de ces trois lustres, n'avait pas eu d’autre spécificité que d'être la source de déclenchement d'une bataille à livrer bien plus sournoise. Celle qui devrait, en théorie, me permettre de sortir victorieux de la guerre que se livrent toujours mes neurones. 

✲✲✲ 

À ce jour et en 35 ans d'existence, je n'ai jamais été pénétré par de telles sensations. Si les 590 jours qui viennent de s'achever pouvaient se renouveler, je plongerais la plume du stylo pour ne pas les réécrire à l'identique. Mais… en gardant tout ce qu'ils m'ont permis de comprendre et de mettre en place.

✲✲✲

 Il est 9h05, ce lundi 9 juillet, quand faisant face à l'écran de mon ordinateur, je découvre son message : 

« Je vais te gratifier d'un service que tu m'as souvent incité à te rendre. Je vais te redonner le livre que ta mère m'a prêté et ne plus jamais te revoir. Tu es libéré. » 

« Quel triste épilogue », me dis-je, écoeuré d'être encore victime de ces fausses croyances et toujours entêté à ce point. Mais a contrario, il se peut que ce soit « un mal pour un bien » qu'elle agisse de cette façon avec moi. En attendant, je suis intimement horrifié de constater, une fois de plus, l'incapacité avec laquelle je fais évoluer ma condition. Mon amie Sabine me fait le reproche d'être trop « auto centré ». Mais elle m'accuse surtout de ne pas vouloir entendre ce qu'elle répète depuis le premier jour, à savoir qu'aucune alchimie n'est opérante entre nous. Les sentiments que je crois ressentir à son égard ne sont qu'une vaine illusion projetée uniquement par ma cervelle, puisque de son côté, cette jeune femme ne cesse de dire qu'elle n'éprouve rien en retour. Pourtant, c'est bien grâce à elle que pour la première fois de cette existence, le sentiment unique d'avoir enfin mis le pied sur la bonne voie, ou plutôt sur la bonne route de vie, s'accapare de tout mon être. C'est grâce à elle que j'ai aussi retrouvé le sens inconditionnel de la satisfaction. Alors, le plus beau cadeau que je puisse lui faire, c'est de cesser de l'ennuyer. Car je me leurre en pensant qu'elle me quittera un jour. Elle est là et elle est même doublement revenue cette obstination à ne pas vouloir entendre raison. À ne pas vouloir entendre ce que Sabine me dit ! Sur une feuille, j'imprime le dernier message électronique qu'elle vient de m'envoyer. Et sous l'encadrement renfermant les mots de celui-ci, j'y ajoute deux indications. La première, c'est sa date de naissance. Et la seconde, c'est son numéro de téléphone portable. Enfin je procède pour la seconde fois en 18 mois à l'effacement de l'ensemble de ses données numériques, et ce, sur l'ensemble de mes appareils électroniques. Une bonne rasade de whisky me conditionne pour avaler l'amertume de cette pilule... ainsi « auto-administrée » !

1er août.  

Trois semaines se sont écoulées ; j’ai rendez-vous avec M. G., magnétiseur, dans son cabinet. J'ouvre la porte d'entrée et immédiatement sur ma gauche se trouve la salle d'attente. Face à moi, un long couloir blanc cassé mène jusqu'à celle de son cabinet. Alors je bifurque sur le coté, salue un couple présent, prends une revue et m'assois. J'ai quelques trois quarts d'heure à patienter. Treize ans que nous ne nous sommes pas vus. Notre dernière rencontre remonte à l'infection nosocomiale que j'avais contractée à l’hôpital de Dijon en 2002. Il l'avait éradiquée. Cette fois, personne ne m’accompagne jusqu'à son cabinet : j’ai pris cette décision de consultation, seul. J'ai établi « une petite liste » d'éléments qui, au sein de ma cervelle, ne tournent pas forcément en décrivant une orbite des plus circulaires. Primo, il faut qu'il m'aide à me libérer de ce fléau qu'est l'alcool, car dialoguer avec des personnes compétentes de l'association qui lutte contre les addictions et dont Sabine m'a donné le nom, ça ne me suffit pas. C'est quand j'en éprouve le besoin que je souhaiterais dialoguer du mal-être que je ressens. Et non, à 9 heures du matin comme me sont fixés ces rendez-vous. Deuxio, et même si je pense que cet état-là est intrinsèquement lié au premier, il faudrait qu’il agisse pour me libérer d'une certaine forme d'oppression résidant toujours en moi : je suis persuadé qu'une phase d’abattement me touche de plein fouet en ce moment et essentiellement depuis que je la connais, depuis qu'il m'est impossible de réaliser le montage de la séquence déjà projetée au sein de mes neurones. Tertio, je lui apporte le livre que j'ai écrit, car je tiens à le lui offrir comme je l'ai fait à mon ancien professeur de mathématiques de terminale.

Monsieur G., le magnétiseur, me reçoit. Je lui décris ces différents éléments symptomatiques. Il applique la paume de ses mains sur mon cuir chevelu. Une fois de plus, j'imagine qu'il lit à travers mes pensées. Alors, j'essaie de faire le vide dans mon esprit pour que rien ne les trahisse ! Il demeure dans cette position deux ou trois minutes, puis il me demande de me lever de la chaise et de regarder droit devant moi. Debout au milieu de la pièce, Monsieur G. se trouve à quelques mètres derrière mon dos. Je suis immobile. Je fais face en partie au mur bleu clair sur ma droite, et, à un petit meuble de type « présentoir » du XVIIIème, sur ma gauche. Il comporte plusieurs éléments : trois tiroirs forment la partie basse et au dessus, on retrouve deux grandes portes vitrées. D'un petit pas, je me déplace de ce côté-là pour faire face à l'une des plaques rectangulaires en verre placées sur ses vantaux. Ainsi je parviens avec quelques difficultés à distinguer le reflet un peu flou que celle-ci me renvoie du magnétiseur.

À ce moment précis, mes oreilles perçoivent le déplacement de la posture de son corps. Elles traduisent le fait que ce dernier se rapproche de la position où se trouve le mien, comme s'il voulait, par effet de surprise, en extirper quelque chose. Par miroitement, j'aperçois qu'il ne se tient plus qu'à un ou deux mètres de moi. La projection m'indique également qu'il conserve toujours les bras écartés, comme pour amortir une éventuelle culbute du poids de mon corps.

Soudain, d’une brutale et angoissante embardée vers l'arrière, Monsieur G. se retrouve littéralement éjecté par une force invisible ! Selon toute vraisemblance, celle-ci se serait échappée de mon corps. Par réverbération sur les vitres du meuble, je constate que ses bras sont toujours écartés, comme si la cause d'un tel mouvement, voulait attenter à la vie du magnétiseur. Ce recul s’arrête à quelques centimètres seulement du mur opposé à celui qui fait face à mon regard depuis le début ! C’est comme si celle-ci avait tenté de l'épingler ou de le clouer à sa paroi. Bizarrement, cette gestuelle m’interpelle. Mais d'emblée, je renonce à y croire : cela me semble tellement déraisonnable ! 

Selon toute vraisemblance, il se pourrait bien que Sabine ait réellement raison ! Selon elle, j'aurais de multiples similitudes avec un des personnages fantastiques appartenant à l'univers décalé du réalisateur de film Tim Burton, celui qui apparaît dans l'une de ses poésies, celle qui s'intitule « The Voodoo Girl » ! Selon Sabine, je m'apparenterais à cette fille ayant les traits d'une poupée vaudou. Dans son texte, l'auteur indique que celle-ci serait prisonnière d'un sort. Plus on se rapprocherait d'elle et plus les aiguilles qui sont piquées sur son corps en pénétreraient la chair.  

Même par analogie, il m’a fallu un certain temps, pour comprendre le rapport qu'elle y voyait. Qu'est-ce qui, selon elle, justifiait l'existence de tels traits de ressemblance entre cette figurine et l'être-humain que je suis ? Je me pose encore la question ! D'un coup, face au bois de ce meuble restauré, tout fini par s'éclairer !  

C'est la révélation !

Cette ombre qui me hante depuis la fin du précédent millénaire est mise en lumière : c'est ce que j'ose enfin croire. 


© Autopsie d'une ombre | 2016 | Tous droits réservés | François Ménard


 

 

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