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Autopsie d'une ombre
28 juin 2016

Autopsie d'une ombre : chapitre 9

 

Certains jours, lorsqu'il me fait ouvrir un oeil, j'imagine qu'il va sonner une seconde fois. Ou plutôt qu'une deuxième onde acoustique va pénétrer mes conduits auditifs. Que celle-ci traversera les tympans, fera vibrer les outils du forgeron qui permettront à mon existence de résonner différemment.

Mais rien n'y a fait !

Je retire ce que je viens d'écrire et modifie quelques mots.

Mais je ne fais rien pour que ça change !

La nuance n'est a priori pas des plus subtiles, mais la vie est là. Alors autant que le déroulement de son présent soit l'un des meilleurs possibles ! Même si ce temps donne du fil à retordre à la personne qui s'imagine encore pouvoir en changer le cours sans ne rien faire. Car à quelle personne n'en donne-t-il pas ? Celle qui ose bouleverser la marche de son développement ? Celle qui est simplement contrainte de le faire ?

Malheureusement, je ne fais rien pour que ça change car j'ai trop peur de devoir une nouvelle fois côtoyer l'inconnu.

C'est paradoxal d'écrire cela, mais c'est surtout très égoïste. Il se peut même que ce soit profondément narcissique ! Quelle raison prévaudrait pour ne pas le faire ? Quelle optique pourrait réellement me faire ouvrir les yeux ? Aucune ! Alors pourquoi ne plus être attentiste comme je le suis ? Il y a des jours où les idées qui résonnent dans sa boite, ne parviennent pas à rebondir autrement que par des interrogations.

Lundi 16 septembre 2013, réouverture de l'A.S.D., 16h30.

« Quelle affluence pour cette reprise ! »

Pendant que ces jeunes gens prennent le goûter, j'ouvre les volets de la pièce du fond, celle où avec eux, je travaille. Pour la reprise, il me faut revoir avec une élève de quatrième la leçon en rapport avec la gravitation des planètes. Avec un cinquième, nous revenons sur les termes de priorité au sein des quatre opérations, avec ou sans parenthèses. Et puis, sans un bruit, et en s'excusant presque de venir déranger, une jeune personne m’interpelle :

« C'est bien toi François ?

- Oui pourquoi ?

- Cyrille m'a dit de venir te voir. »

Cette adolescente qui est en seconde générale souhaite revoir l'ensemble des tableaux de conversions liées au système international.

« Aucun problème », lui dis-je.

Elle me remercie une nouvelle fois et nous commençons par revoir le mètre, ses multiples et sous-multiples. Puis similairement nous revoyons les unités en rapport avec le litre puis le kilogramme. On passe ensuite aux unités de surface puis à celles de volume en traçant le parallèle qui existe entre les multiples et sous-multiples du mètre carré et de l'hectare et entre ceux du mètre cube et du litre.

Jeudi 19 septembre 2013, A.S.D., 17h15.

Étant également professeur de français, Cyrille se doit de jongler entre ses cours en université et ses fonctions de coordinateur des associations « Intégration » et « Accompagnement Scolaire ». En conséquence, son emploi du temps ne lui permet pas toujours d'être ponctuel. Justement, aujourd'hui, ses cours se terminent à 18h. Il faudra donc que j'ouvre la séance à sa place. Mais avant qu'il n'arrive, un des enfants du quartier manifeste des signes d'agitation prononcée : il veut rentrer chez lui. N'ayant pas l'autorisation de le laisser sortir, je refuse qu'il retourne à son domicile. Alors, il se met à « bouder » !

Halima, la demoiselle qui est en seconde, est revenue. A nouveau, elle me demande de lui expliquer plusieurs notions de biologie et de physique.

« Tout ce que j'aime », me fais-je comme réflexion.

Mardi 24 septembre 2013, fin de la séance à l'A.S.D., 18h10.

J'ai hésité un long moment avant d'aller au soutien scolaire aujourd'hui. Mais, Cyrille ne pouvant ouvrir la séance, j'y ai été contraint. J'ai l'impression de m'être fait prendre en flagrant délit de faiblesse par les autres bénévoles, car je me dois de respecter les engagements que j'ai pris devant lui. Au moins, il sait qu'il peut compter sur moi en toute condition !

Avant le déjeuner, j'ai « encore » bu au moins quatre ou cinq verres de Whisky. Je dis « encore » car cet acte commence vraiment à devenir répétitif. Mais surtout j'éprouve de plus en plus de difficultés à tempérer l'envie qui se crée en moi. Ma consommation n'empire pas, mais je ressens un besoin constant d'être déconnecté du vrai « moi », pour ne plus sentir une pression psychologique imaginaire implacable.

Avant l'an 2000, j'avais un prétexte valable, avec cette boule qui « squattait » le fond de ma gorge. Mais aujourd'hui, je n'arrive plus à trouver de raison honnête pour continuer à agir ainsi. Si ce n'est pour conforter une partie de ce « moi » dans son rôle de victime.

Peut être est-ce le fait de ne plus pouvoir me passer de cette simple déconnexion se créant à l'intérieur de mon cerveau ?

Jeudi 26 septembre 2013, A.S.D., 16h45.

J'arrive à l'association avec un quart d'heure d'avance. Je tiens à présenter mes excuses à Cyrille pour être arrivé mardi dans un état peu adéquat à la fonction que je remplis.

« Écoute François, la prochaine fois que cela t'arrive, si toutefois tu réitérais, tu me téléphones en me disant que tu as un empêchement de dernière minute. Et si je peux te rassurer, tu n'as absolument aucun compte à me rendre !

- Merci Cyrille !

- C'est humain d'avoir des défaillances. L'essentiel, c'est de s'en rendre compte et de tout faire pour en corriger les conséquences. »

Samedi 28 septembre 2013, Mont Saint Sulpice (89), 16h.

Avant de rejoindre la maison de Francis, je me rends dans un village qui est proche de Brienon-sur-Armançon pour y faire la connaissance de l'auteure, Adeline Neetesonne, à laquelle j'ai déjà commandé des livres. L'invraisemblance du pouvoir d'internet, c'est de créer du lien. Sa crédibilité se matérialise par une rencontre réelle. L'univers scriptural de cette jeune femme est diamétralement opposé au mien. Et pourtant quelque chose d'invraisemblable nous lie. Elle, dans son écriture fantastique, et moi, dans la vie réelle. C'est le mysticisme qui semblerait être ce point commun.

Mardi 01 octobre 2013, fermeture de l'A.S.D., 18h09.

Pour n'avoir aucun doute qui subsiste, je note précisément dans l'agenda l'heure à laquelle, je ferme le local de l'association. En fait, je note spécifiquement l'heure à laquelle, j'entends le son des clés tinter sur le fond en tôle de la boite-aux-lettres.

Un justificatif de conscience qui me permet d'être rassuré. Ainsi, cela évite à ma cervelle de ressasser et de douter pendant des heures en me demandant « si j'ai, oui ou non, effectué un tel geste » !

J'en serais presque à vouloir remercier l'orthophoniste d'Auxerre de m'avoir conseillé une telle démarche !

Quinze jours plus tard.

Mercredi 16 octobre 2013, appartement de Saint-André, 8h30.

Après avoir acheté quelques vivres au supermarché la veille, et trois baguettes de pain - élément indispensable pour la survie des convives que je reçois - je me mets « aux fourneaux ». En réalité, aujourd'hui, je maitrise quelques recettes spécifiques que je reproduis à chaque nouvel invité. De cette façon j'ouvre moins souvent le livre de recettes qu'auparavant.

Pour la venue de mes grands-parents, je décide de leur préparer de la joue de porc, car c'est vraiment délicieux ! En accompagnement, j'émince des poivrons et des courgettes que je fais revenir dans de l'huile avec des échalotes. Pour le dessert, je prépare un gâteau que ma grand-mère fait rarement avec d'autres fruits que des cerises : un clafoutis avec un mélange de pommes et de poires. Je mets également une bouteille de champagne au frais et je ne peux m'empêcher d'avoir une pensée pour mon grand-père Jany, car avec lui aussi, j'en avais ouvert une !

10h45.

Ma grand-mère me téléphone pour me dire qu'ils s'apprêtent à partir de chez eux. Connaissant le « train de sénateur » avec lequel le grand-père se déplace, je leur avais conseillé de partir avant 11h.

De cette façon, ils éviteront la cohue des automobiles sortant de l'agglomération. Le rendez-vous est fixé sur le parking de l'hôpital de Troyes, à côté du château d'eau. À pied, je n'habite qu'à quelques minutes de là.

En fermant la porte derrière moi, je dispose une feuille de papier sur le paillasson. J'y ai écrit un petit mot à l'attention de mes invités.

Je leur avais dit au téléphone que je les attendrai au pied du château d'eau, mais je ne vois toujours pas leur voiture ! C'est à cet instant que je me rends compte de la réelle utilité d'un téléphone portable.

J'arpente de long en large le parking de l’hôpital. Je descends même le long de la route d'Auxerre. Et aucune voiture vert clair n’apparaît dans mon champ de vision.

Je repars pour la troisième ou quatrième fois de la route vers le château d'eau…

Soudain, j'entends : « Ohé, François ! »

Renée agite sa main gauche. Elle se tient debout, en s'équilibrant péniblement de sa main droite appuyée au rebord de la portière.

« C'est la porte au fond du couloir ! »

Leur dis-je, au moment où ils sortent de l'ascenseur. Une fois arrivés en face de l'entrée, ils trouvent alors ce petit mot laissé à leur intention : « Bienvenue à Masterchef ! »
C'est un peu pompeux, je l'accorde !

Mais à échelle différente, juges et jugement différents...

Je cuisine uniquement pour ne pas dépérir. Et si je peux le faire en évitant de consommer trop de produits chimiques, c'est préférable.

Après avoir bu une flûte de champagne, nous passons à table.

En entrée, je leur sers de l’avocat, un fruit que ma grand-mère n'utilise jamais. Je ne sais même pas si elle en a déjà mangé ! J'ai comblé la partie creuse laissée par le noyau avec un mélange de thon émietté et de mayonnaise. Ils trouvent cela très bon, comme la suite du repas d'ailleurs.

Un mois plus tard, le dimanche 17 novembre 2013, au Salon du livre de Saint-Parres-aux-Tertres.

Après m'y être rendu seul la veille, je reviens avec Sylvie à la salle des fêtes où cette manifestation culturelle a lieu. J'ai le ferme espoir de participer à celui de l'année prochaine !

Mardi 19 novembre 2013, A.S.D.

Avant qu'il ne soit de retour de son cours de français au sein de l'une des deux écoles supérieures de Troyes, Cyrille m'a averti hier qu'un certain nombre de nouvelles personnes viendraient pour appuyer le groupe des bénévoles. A priori, je pense qu'il doit s'agir d'un petit groupe d'étudiants, qui comme l'année précédente, était venu nous aider à cette même période.

Ces nouvelles personnes ne sont qu'au nombre de trois pour l'instant. En leur serrant la main, je les accueille, mais très vite et sans leur prêter d'attention particulière je retourne dans « mon antre ».

Cyrille, qui est rentré depuis quelques minutes, fait visiter les locaux de l'association à ces trois demoiselles. À tour de rôle, elles découvrent l'endroit et les différents intervenants. Littéralement absorbé par les explications données à deux élèves de cinquième concernant la méthode avec laquelle je simplifie les fractions, je ne me rends, encore une fois, que peu disponible et ne leur accorde que peu d’intérêt.

Je note simplement sur mon carnet le prénom de chacune d'entre-elles pour pouvoir le retenir : Alexandra, Manon et Sabine. Et à côté de ceux-ci, je note également une particularité typiquement masculine qui, à l'avenir, pourra me permettre de les identifier au cas où je serais amené à les revoir ! Satanée mémoire.

Je suis sûr et certain de n'avoir jamais rencontré les deux premières qui paraissent nettement plus jeunes que l'autre. Par contre la finesse des traits du visage et la noirceur des cheveux bouclés de la troisième, dégagent une certaine familiarité qui ne me semble pas totalement inconnue. Mais comme de nombreux éléments que mes yeux croient avoir déjà vus, il est probable que cette vraisemblance n'en soit que des plus chimériques.

Vendredi 22 novembre 2013, repas chez Cyrille.

Cyrille m'a invité hier à venir diner chez lui ce soir. Il prévoit de faire une raclette. Je connais ses deux enfants et sa femme pour les avoir déjà côtoyés quelques fois à l'aide aux devoirs. Mais nous n'avons encore pas eu le temps de vraiment faire connaissance. Je pense donc que ce repas va en être l'occasion.

Cyrille me réaffirme l'impression que j’avais : certains écoliers et collégiens m'apprécient. Peut-être parce qu'au fond, je suis resté à mi-chemin entre l'enfance et l'âge adulte. Ou plus concrètement parce que je suis comme eux, je possède également un chromosome Y, typique d'une éternelle juvénilité d'esprit !

Mardi 26 novembre 2013, A.S.D., 16h35.

Cela va bientôt faire une heure que ces trois collégiens, deux cinquièmes et un quatrième, « pédalent dans la choucroute » avec leurs exercices de physique et de mathématiques. Pourtant je leur explique qu'il suffit d'appliquer les formules du cours pour qu'ils parviennent à trouver la solution. Mais je crois surtout qu'ils attendent que je fasse ce travail à leur place.

À l’écoute de la voix des personnes qui viennent de rentrer, je reconnais celle de l'une d'entre-elles, que je n'ai pourtant entendue parler qu'une seule fois.

Quelques minutes après, Sabine me salue en me serrant la main et me demande si elle peut s'installer dans cette salle. Entre deux interpellations d'adolescents, je vais apprendre qu'elle a deux ans de plus que moi, qu'elle n'a pas encore d'enfant et qu'elle est éducatrice spécialisée dans un service d'action éducative d'une association sociale. Pourtant une autre question, plus intimiste, me brûle les lèvres. Mais je me défends de la lui poser pour des raisons évidentes. Nous ne nous connaissons pas et surtout… ce n'est pas le lieu pour faire cela. Alors, il n'y aura que peu d'échanges entre nous lors de ces premiers moments de proximité : rien de plus normal.

Mais je suis déjà sous « le charme » comme ensorcelé !

Après la séance, je laisse la clé du local à Alain car il fait partie d'une chorale et la répétition de ce soir doit se dérouler ici.

Sur le chemin du retour, je fais inlassablement le tri dans mes pensées. J'ai appris depuis quelques années à faire ce travail méticuleux pour en faire rejaillir les souvenirs. Et là, je retrouve enfin à qui Sabine me fait penser... Ou plutôt à quoi !

Voilà bientôt une demi-heure que je suis rentré à l'appartement et cette fois, je fouille dans un autre endroit. Mais j'ignore si je possède encore ce que je recherche. Peut-être l'ai-je brûlé comme tant d'autres éléments appartenant au passé et pour lesquels il n'y avait plus rien à espérer. Pourtant, j'ai l'impression d'être toujours en sa possession. Alors du garage où je suis descendu, je remonte à l'appartement et je cherche sans relâche et partout.

Quand soudain, un éclair de « génie » traverse mes neurones. Tel un film en noir et blanc, j'en visualise mentalement la bande son et les images pour retrouver la logique de son déroulement. Tel un processus incluant parole, écoute et traitement des données, cette réflexion à voix-haute s'effectue de façon minutieuse.

« Si mes souvenirs sont bons, lors du déménagement de Flogny, avec Francis, nous avons transporté de multiples affaires dans des caisses vertes qu'il avait ramenées de son lieu de travail. »

Mais la lumière de ce flash fait rapidement place au brouillard de la confusion. Alors, je prends un verre, me sers un whisky et m’installe devant l'écran de l'ordinateur. Et puis machinalement, et alors que je me redresse sur la chaise, ma tête pivote d'un quart de tour sur la droite. Et là, je la vois cette caisse verte que je cherche depuis plus d'une demi-heure.

Elle est là dans le petit meuble sur lequel est posée l'imprimante.

Je la vide entièrement et recommence à fouiller dans les affaires qui en sont sorties !

Dans une pochette verte aux élastiques cuits par les années, je retrouve enfin ce précieux trésor. À l'intérieur, un bloc de papier quadrillé à petits carreaux au format 21×29,7 sur lequel est écrit au feutre noir « Autopsie d'une ombre ». J'ai l'intime conviction qu'une réponse à ce que je cherche, s'y trouve. Une réponse griffonnée une quinzaine d'années auparavant, écrite à la page 17 de cette ébauche de manuscrit. Alors, j'en lis le passage...

« La finesse de son nez, l'onde ténébreuse de ses cheveux, le velours de ses lèvres, l'obscure brillance du reflet de ses yeux la rendent encore troublante. On dirait une sirène dans un corps de femme ! Et d'un seul coup, je m'écrie : « Eurêka ! »
Bien que ces lignes écrites au stylo plume fassent état d'une analogie mystique avérée, j'ai l'intime conviction qu'elles prennent tout leur sens au regard de la jeune femme bien réelle que je viens de revoir. Quelque-chose que je n'arrive pas encore à saisir par le biais de la pensée se produit dans tout mon être. C'est tellement irrationnel que cela me terrifie !

Je commence à croire que j'accède résolument à la libération d'une partie totalement inconnue d'une sensation.

Une inflexible approche de la traduction de ce message va, au cours de la nuit, se manifester entre chaque phase de sommeil. Mais, à chaque réveil, ma conscience va rejeter en bloc le reflet de cette réalité extérieure sous un prétexte infondé. Celui qui, malheureusement, est toujours resté le même. Celui qui me contraint à penser qu'une aussi belle jeune femme ne peut éprouver aucun intérêt pour une personne comme moi.

Alors je vais réellement chercher à comprendre ce qui se produit dans tout mon corps pour la première fois de ma vie. Et je crois que ça va être terrible.


© Autopsie d'une ombre | 2016 | Tous droits réservés | François Ménard 


 

 

 

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